Sandra Tardieu
Dessin contemporain

A PROPOS

Sandra Tardieu dans son atelier
Crédit photo : Emmanuel Thiot

Biographie

Vit et travaille à Lyon.

Originaire d’Ardèche, ses parents s’installent en région lyonnaise alors que l’artiste a 3 ans. Elle prend sa première photographie avec l’appareil argentique paternel à 7 ans. Un monde s’ouvre en un instant pour l’enfant observatrice du monde qu’elle est. Dès le début de sa vie d’adulte, la photographie devient un endroit pour se rapprocher des autres et s’exprimer.

Après une scolarité sans vague, elle s’inscrit en faculté d’anglais avant de s’orienter vers la linguistique et la sémiologie de l’image plus proche de ce qui l’anime véritablement.
Elle devient graphiste en identité visuelle et webdesigner indépendante en 2002.
Septembre 2021 marque le début de son travail artistique.

Démarche artistique

L’artiste est une terrienne ancrée sur le plateau du
Vivarais. Enfant, elle rêvait d’être archéologue, pour la joie simple de gratter la terre, faire des trous, chercher, trouver … et ne pas trouver.

Aujourd’hui son travail artistique est profondément empreint de cela : chercher des réponses en creusant, déterrant.
Découvrir ce qu’il se passe dessous, ce qui n’apparait pas, qui est là invisible et essayer de comprendre ce qui nous met en mouvement, ce qui se joue, comment cela s’est construit, comment cela interagit entre soi et soi,
entre soi et l’Autre.

L’artiste tente de tracer cette recherche d’une voix.e claire : aller à l’essentiel avec le trait monochrome en tenant à distance l’utilisation des couleurs trop bavardes; Rester en contact avec la terre en utilisant les matières naturelles que sont la pierre noire, le fusain et le brou de noix; Entretenir le mouvement, le lien à soi-même et à l’Autre dans le va et vient du dialogue entre le dessin et le regardant.

Sandra Tardieu dans son atelier
Crédit photo : Emmanuel Thiot

3 questions à l’artiste

Comment est venu le projet “Sous la peau” ?

Par hasard. Enfin… oui et non.

Oui parce que mon trait est intuitif, je laisse faire autant que possible la main. Je n’essaie pas de la diriger. Un jour, sur un bloc de travail, je termine un dessin et m’aperçois que l’ensemble de traits ressemble à un corps. Le dessin reste du côté de l’abstraction et pourtant, il y a bien un corps. Il y a un entre-deux entre l’abstrait et le figuratif, un va et vient visuel. Le cerveau ne sait plus où il en est. Je vois un corps et je ne le vois plus la seconde d’après.
J’aime ce mouvement qui vous fait vous balancer d’un pied sur l’autre… Ce balancement, c’est de l’enfance.

Et non, ce projet n’est pas un hasard. Il y a 20 ans de cela, j’avais commencé un travail photographique en noir et blanc sur les racines des arbres. Vous avez sans doute déjà vu ces racines, le plus souvent des résineux, qui affleurent le sol. En les observant un temps, on y verrait presque la sève qui circule. A l’époque, j’avais installé chez moi un petit labo photo. J’avais fait des tirages extrêmement contrastés. Sur le papier, il n’y avait plus que de “vrais blancs” et de “vrais noirs”. Les photos devenaient très graphiques et étaient devenues des objets plastiques. La quasi-totalité de la matière ayant disparue, il ne restait plus que des lignes tortueuses noires; n’était alors montré que ce qui est essentiel, que ce qui constituait cette matière.
Voir ce qui circule dans la matière, ce qui n’est pas vu… en-dessous de la surface…. Finalement avec ce projet “Sous la peau”, je continue ce que j’avais initié avec la photographie.

Déjà le noir et blanc et des contrastes très fort…

Oui ! Le noir. Le noir parce qu’utiliser la couleur… et bien… Et bien, les couleurs me donnent le sentiment de diluer les choses. Non pas tant d’affaiblir que de décentrer le sujet – le propos de l’œuvre et la personne qui regarde. J’aurais l’impression d’être trop bruyante et me perdre en bavardage. De trop en dire, de trop en faire. D’aller au-delà de ce que demande le trait, le dessin. Et puis, je donnerais trop à manger à celui qui regarde. Non pas que je veuille l’affamer mais enfin, il a sa part de travail à faire pour que le dessin devienne sien, pour que ça vive en lui.

J’aurais aussi le sentiment de dessiner la forêt qui cache l’arbre – Oui, je vous la fais à l’envers – alors que c’est de l’arbre dont il s’agit. Seul. Nu. Poser la pointe du crayon, poser le trait, là où “ça se passe”. Chercher et poser les questions au bon endroit. Le noir permet cela. Le contraste ne peut que révéler ce qui a a être explicité. On peut se cacher dans une forêt, pas derrière un seul arbre. On peut toujours essayer mais on est rapidement à découvert et ça ne vous laisse pas vraiment le choix… A un moment donné, on est bien obligé d’être face à soi et face à l’Autre. Creuser, gratter cette zone qui n’est pas encore révélée à soi et accepter aussi ce qui ne se révèlera peut-être jamais. C’est une quête de soi. Le trait, cette ligne sur la feuille, c’est cela. C’est moi qui m’y inscris. Le noir vous oblige à aller à l’essentiel. « Au fond du fond » comme dit Alexandre Jollien.

Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit sur celui qui regarde, qu’il doit faire sa part. Vous l’invitez à être face à lui-même en regard de votre propre quête finalement.

Je vais enfoncer une porte ouverte mais le propre de l’art – la musique, le cinéma, la littérature ou une œuvre plastique – c’est, entre autres, se confronter, s’ouvrir à un monde autre que le sien et agrandir notre espace intérieur, apprendre et comprendre des choses sur nous-même.

Il y a cette anecdote fondatrice pour moi.
Je devais avoir 6 ans, je me trouvais dans l’immense cage d’escalier d’une sorte de manoir datant du milieu XIXè. Les fenêtres étaient incroyablement hautes. Je me suis arrêtée sur un palier entre 2 étages et j’ai regardé le ciel. Il y avait un nuage. Il bougeait. Ce jour-là, sans pouvoir le verbaliser du haut de mes 6 ans, j’avais compris que tout était en mouvement : ce que je voyais à l’extérieur comme ce que je ne pouvais voir à l’intérieur, qu’il y avait du mouvement dans le mouvement et que tout était lié, interconnecté. La plus petites des plantes, les minuscules insectes, l’intérieur de notre corps, les montagnes, les planètes … tout ça interagissait. Tout était vivant en soi mais aussi par le fait d’être lié. Ce sentiment était aussi merveilleux que vertigineux.

De là découle ce qui m’anime quand je dessine : faire en sorte de ne pas fermer la lecture à celui qui va regarder, ne pas lui macher le travail pour pouvoir être en dialogue et en lien avec lui. Ce qui m’importe, c’est l’échange possible entre moi et les autres.
Ce mouvement intérieur qui va vers l’Autre.
Le dessin, tout comme l’était la photographie d’ailleurs, n’est qu’un moyen d’être en relation à l’autre. Ce n’est qu’un médium facilitateur. Il permet, autant à moi qu’au regardant, d’être en mouvement et donc d’être en vie.